Google aussi traine les pieds concernant le DMA

Les changements opérés au service Google My Business sont loin d'être satisfaisants pour rendre l'affichage conforme au Digital Market Act et à l'interdiction d'auto-préférence.

Depuis le 7 Mars 2024 les gatekeepers définis par la Commission Européenne doivent se conformer au Digital Market Act. De nombreux acteurs ont critiqué les décisions et interprétations d'Apple concernant ses obligations, mais les autres gatekeepers aussi trainent les pieds.

Concernant Google, les changements opérés et décrits dans un document de plus de 200 pages sont loin d'être satisfaisants, notamment concernant la mise en avant du service Google My Business.

Voici les doléances envoyées à la Commission Européenne, que nous renouvellerons lors du prochain workshop spécifique à Google et organisé le 21 Mars 2024 .

TL;DR

Google My Business est un service autonome offert par Google, qui sert de guide local et se positionne en concurrence avec Yelp, les Pages Jaunes, ainsi qu'avec d'autres comparateurs locaux, qu'ils soient généralistes ou spécialisés. Doté de sa propre marque commerciale, Google My Business dispose d'un site de configuration dédié, d'une interface utilisateur spécifique, de ses propres statistiques et d'un système distinct pour la collecte d’avis.

Son affichage actuel est clairement en violation avec l’Article 6(5) du Digital Market Act.

Pour se conformer à l'interdiction d'auto-préférence telle que définie par le DMA, il semble que la seule solution pour Google serait de créer un site web dédié pour Google My Business. Ce site devrait être indexé et classé par le même algorithme que Google Search, et son affichage devrait être identique à celui des sites concurrents.

Obligation de création d’un compte professionnel spécifique

Pour l’affichage des résultats dans son moteur de recherche, Google utilise un système d’indexation des sites web pour classer et afficher les résultats de  recherche. Pour le service Google My Business, la récolte des informations se fait différemment.

Les professionnels doivent créer un compte professionnel pour renseigner les informations concernant leurs commerces ou entreprises :

  • indiquer les horaires, le numéro de téléphone, adresse
  • ajouter des photos
  • consulter les messages, avis, et y répondre


Ce compte pro doit être créé et est accessible soit via le site : https://www.google.com/intl/fr_fr/business/  soit via l’application Google Maps disponible sur iphone/android
C’est le même processus qui est demandé sur les sites concurrents comme Yelp ou Pages Jaunes (SoLocal).  


Statistiques

Des statistiques sont disponibles pour les professionnels concernant les interactions des internautes avec leur « fiche » Google My Business : nombre d’appels téléphoniques, nombre de réservations, nombre de clics vers le site web du professionnel…

Ces statistiques diffèrent de l’outil proposé pour les autres sites web et qui sont accessibles via Google Search Console : https://search.google.com/search-console/ mais sont similaires aux statistiques fournies par les sites concurrents.

Google indique le nombre d’impressions, le nombre d’appels, preuve que ces données sont primordiales pour les professionnels.

Affichage dans Google Search

L’affichage des informations dans Google Search est équivalent à l’affichage d’une fiche d’établissement sur un site concurrent, exemple ci dessous avec la fiche d’un restaurant sur Google Search et sur Yelp. l’affichage est sensiblement le même sur Google Maps d’ailleurs.

On retrouve les boutons pour passer un appel téléphonique, voir un itinéraire, visiter le site web du restaurant. Des photos sont mises en avant.  Les horaires d’ouverture sont affichées.

L’affichage des informations directement dans le moteur de recherche capte l’essentiel du trafic, que ce soit la génération d’appels, la consultation d’itinéraire ou la visibilité des avis.

L’affichage de boutons est impossible pour les sites concurrents qui n’ont accès qu’a l’affichage des avis, une photo et une indication tarifaire. Sans compter que la fiche Google My Business est systématiquement affichée en première position et prend l’ensemble de l’écran sur un smartphone.

Cet affichage direct avec des boutons spécifiques empêche aussi toute innovation concernant le canal de communication, l’outil de navigation, voici quelques exemples non exhaustifs :

  • Des sociétés proposent des services de call tracking basés sur des numéros de téléphone dynamiques. Ce type de call tracking est impossible pour Google My Business.
  • Notre société GNI MEDIA a déposé un brevet européen ( EP3931691 ) et commercialise une solution de suivi de la satisfaction téléphonique pour les appels générés depuis un site web. Les prospects intéressés par notre solution ont tous le même retour : est ce que les appels générés depuis Google My Business sont aussi pris en compte ? La réponse est non, sachant que Google My Business capte l’essentiel de la génération d’appels.
  • Certains professionnels souhaitent mettre en avant des canaux de communication différents (whatsapp, chat).
  • Certains professionnels souhaitent mettre en avant des opérations promotionnelles à leurs visiteurs, récolter l’email, … Ou simplement afficher l’image de marque de leur enseigne, chose impossible sur une fiche Google My Business qui capte le trafic qui aurait été naturellement atterri sur le site officiel de l’enseigne.

Avis

La note globale et le nombre d’avis mis en avant ne prennent en compte que les avis récoltés par Google qui ont été imposés en norme pour les enseignes. Il est impossible de créer un site d’avis concurrent qui rivalise en terme de visibilité avec Google My Business. Sur smartphone, la fiche Google My Business recouvre l’ensemble de l’écran.

La solution proposée par Google pour l’affichage des avis tiers est sensiblement équivalente à la précédente et n’amène aucune amélioration ni réponse au Digital Market Act. Les avis tiers sont invisibles sans interaction de l’internaute ! A comparer avec la note Google directement visible juste en dessous du nom de l’établissement.

Les avis Google ne sont pas vérifiés et les professionnels se plaignent du manque de communication lors d’un litige ou de l’obligation pour le client de disposer d’un compte Google pour déposer un avis. D’autres sociétés proposent des systèmes de récolte d’avis plus stricts, par exemple avec modération humaine à priori, en conformité avec la norme NF 20488 ou proposant de déposer des avis anonymes.

Pack Local

Google a présenté les changements opérés concernant le “pack local”, affiché pour des requêtes “type entreprise + ville” , par exemple “hotel paris” :

L’affichage proposé dispose d’un titre spécifique, une carte ainsi que des établissements avec avis Google, prix et services fournis sont affichés. La mise en avant des avis Google My Business est indéniable. Google argue le fait que désormais aucun clic ne renvoie vers un service Google cf visuel EU DMA Compliance Report page 177

A présent un clic sur un établissement affiche le résultat de recherche de cet établissement, et comme les fiches Google My Business sont  toujours affichées en haut de page et prennent l’intégralité de l’écran sur un smartphone, Google joue clairement avec les mots : l’expérience utilisateur est au final la même que si l’internaute était sur un store locator distinct. L’algorithme de classement des sites dans Google Search et dans ce pack local est différent.

La encore l’affichage proposé directement dans Google Search est sensiblement le même que sur un site comme Yelp, et très différent d’un résultat de recherche standard qu’un site concurrent peut prétendre.

Conclusion

La nécessité de créer un compte professionnel spécifique, pour mettre a jour les informations, accéder aux statistiques et répondre aux avis démontre clairement que Google My Business est un service Google distinct de Google Search. A ce titre, il ne doit pas bénéficier d’un affichage préférentiel dans Google Search comme c’est le cas actuellement, tant en terme de positionnement, de fonctionnalités que d’espace d’affichage.

La création par Google d’un site web dédié, indexé et classé par le même algorithme dans Google Search et disposant du même affichage que les sites concurrents semble la seule solution compatible avec l’interdiction d’auto préférence telle que définit par l’article 6(5).

De plus, la Commission Européenne devra veiller à ce que le site dédié nouvellement créé soit traité comme n’importe quel autre site par Google Search en matière de référencement (SEO) : même fréquence de crawling, même délai pour commencer à se positionner dans les top positions. Avec une période pendant laquelle ce site sera invisible dans les résultats de recherche lors de son lancement, comme pour tout lancement de nouveau site concurrent.