Paiement par virement instantané : un décollage sous condition dans l'e-commerce

Paiement par virement instantané : un décollage sous condition dans l'e-commerce L'Union européenne a adopté ce 26 février le règlement qui impose la gratuité du virement instantané. La mesure offre de nouvelles perspectives de paiement au e-commerce… à condition que les banques jouent le jeu.

Le paiement par virement dans l'e-commerce s'ôte une épine du pied. Le 26 février dernier, l'Union européenne a adopté le règlement qui imposera aux banques de proposer, d'ici l'automne 2025, le virement instantané au même tarif que le virement classique (souvent gratuit). "Pour un moyen de paiement, l'instantanéité est la clé, analyse Marc Lanvin, directeur général adjoint de Floa Bank. La validation immédiate du paiement est la principale raison du boom du paiement fractionné".

Un mode de paiement émergent

Le paiement par virement bancaire se développe depuis deux ans, notamment grâce à la directive sur les services de paiement (DSP2). Entrée en vigueur en 2018, elle a permis l'initiation de paiement : l'e-commerçant préremplit le virement (compte destinataire, libellé, montant…) afin que le client n'ait qu'à valider l'opération auprès de sa banque. Selon la Fevad, le nombre d'acheteurs français utilisant le virement ou le prélèvement est passé de 0,9% en 2020 à 16% en 2021.

Une part encore trop faible pour les fintechs spécialistes de l'initiation de paiement. Elles entendent la voir grandir avec la gratuité. "D'ici un peu plus d'un an, le virement instantané pourra être utilisé plus largement en combinaison de l'initiation de paiement, analyse Bruno Van Haetsdaele, CEO du prestataire de paiement Linxo.  Cette association en fait une solution unique pour le commerçant qui reçoit les fonds immédiatement, contrairement au système de remises de carte." La collecte de l'argent en 10 secondes enlève tout risque d'impayés. "Une fois que l'argent est arrivé. Il est arrivé. Il ne peut plus être repris, insiste Olivier Binet, CEO de Bridge. Quand l'argent n'arrive pas instantanément, il n'existe pas de mécanisme pour garantir au marchand qu'il va être payé." Un argument anti-fraude qui séduit : "l'irrévocabilité du paiement est importante, confirme Sara Laamarti, directrice paiement et fraude chez Fnac Darty. Il existe par exemples des dérives frauduleuses sur les wallets où la légitimité du remboursement est octroyée au consommateur." Au-delà de la fraude, recevoir les fonds directement "facilite grandement le travail de comptabilité", ajoute Stéphane Ferry, directeur paiement chez Ikea France.

Adoptée pour les paniers élevés

Même sans virement instantané systématique, l'initiation de paiement a déjà conquis certains e-commerçants. "L'option a été adoptée assez rapidement par les acteurs qui ont besoin de processer des gros montants comme les agences de voyages, les vendeurs d'automobiles, les spécialistes du meuble et les acteurs du luxe", illustre Bruno Van Haetsdaele. Au-delà de supprimer les frais d'interchange, l'un des avantages du virement est qu'il contourne les plafonds imposés par les cartes bancaires (en moyenne 2 500 euros par mois). "A partir de 200 euros, 30% des cartes ne passent pas, et la proportion augmente à chaque 100 euros supplémentaire", explique Olivier Binet. Par exemple, Ikea France propose de régler par virement en cas d'échec de paiement par carte.

D'autres, comme Stanislas Peycelon, fondateur et CEO de la start-up de revente de voitures Oveo, n'ont pas d'autre choix que de proposer l'initiation de virement avec un panier moyen de 10 000 euros. "Il y a un grand travail d'éducation à faire auprès des clients lors de l'implémentation de l'initiation de paiement", témoigne-t-il. Le parcours d'achat proposé par certaines banques peut effrayer un consommateur non expérimenté. Dans certains cas la banque demande de rentrer ses identifiants et codes de compte, dans d'autres il est même nécessaire de l'appeler pour valider la transaction.

Des banques réticentes

Si les délais étaient un frein au développement de l'initiation de paiement, le manque d'homogénéité des API bancaires en reste un autre. "Les banques ont exposé des API, mais une partie du parcours se fait directement sur leur site pour valider le paiement", détaille le CEO de Linxo. Résultat ? Certaines banques font l'effort de développer des parcours fluides mais d'autres semblent réticentes à faire avancer les choses. "Pour le dire de façon très pudique, elles ne jouent pas le jeu de la DSP2", fustige Olivier Binet. Fort de cette observation, une étude sur la performance des API bancaires a été menée, en mars 2023, par cinq fintechs afin d'alerter sur les défaillances des banques. A titre d'exemple, seuls 76% des clients d'Axa Banque réussissent à se connecter aux API et parmi eux, 68% finalisent avec succès le paiement. Pour les fintechs cette fluidité est le dernier obstacle. "C'est un point qui sera nécessaire pour faire en sorte que l'adoption soit plus massive", affirme Bruno Van Haetsdaele. Identifiée par la Commission européenne, l'amélioration des performances des API bancaires sera encadrée par la DSP3. La nouvelle directive, dont la version finalisée doit voir le jour fin 2024, prévoit de renforcer le pouvoir des autorités nationales (l'ACPR en France) pour s'assurer du respect des critères de performances des API.

Ces améliorations successives ne laissent pas les retailers indifférents. La responsable des paiements de la Fevad indique que "les e-commerçants sont très attentifs aux cas d'usages". De son côté Ikea France va élargir les cas d'utilisation en proposant le paiement par virement instantané "dans les prochaines semaines", précise Stéphane Ferry, directeur paiement. Ce dernier met en avant les bénéfices pour l'entreprise : "Nous pourrons également baisser nos coûts liés aux transactions bancaires et nous débarrasser de modes de paiement comme le chèque par exemple". L'heure est également à l'initiation de paiement chez Fnac Darty. "Aujourd'hui, nous sommes en phase de projet pour avoir une roadmap et des dates de réalisation", confie Sara Laamarti, directrice paiement et fraude pour le groupe. Elle anticipe notamment l'exercice "de vulgarisation et de communication auprès des clients".