Le dilemme X : ciel, où file le microblogging ?

Twitter va mal. Il fonctionne mais va mal. Enfin X va mal, pour ceux qui se sont résolus, à l'instar des médias à rebaptiser l'ex. plus forte marque des réseaux sociaux en termes d'identité.

Il réussit à fonctionner sur le plan technique, même avec une équipe très réduite. Il ne fonctionne plus en termes d'éthique et de modération non plus et par voie de conséquence sur l’axe commercial des annonceurs non plus.

Une division par 2,31

Twitter en France, c’est 11,47 millions d’internautes actifs[1]. C’est 3 fois moins qu'Instagram ou 4 fois moins que Facebook. Mais finalement, le problème de X n’est pas tant le trafic que de faire revenir les annonceurs dans un océan de contenu non modéré. L'important c’est la monétisation. Là aussi, c’est compliqué: de gros annonceurs ont déjà quitté le navire. En cause: des publicités apparaissant au sein de tweets haineux, ou des commentaires antisémites de Musk. Un échec non spontané et non modéré puisque précisément, X a licencié plus de 1 200 employés dans le monde au sein des équipes de modération chargées de lutter contre les contenus abusifs en ligne[2]. Conséquence : Elon a acheté Twitter pour 44 milliards de dollars en octobre 2022, X n’en vaut plus que 19 en novembre 2023 soit une division par 2,3[3].

Doit-on enterrer ce réseau à l’instar de certaines marques et certains politiques parfois mal avisés ?

Car quitter X, c’est perdre en visibilité mais surtout en opportunités de conversations, prise de parole, réaction et rebond sur l’actualité. Et quitter Twitter, c’est le remplacer souvent par 2 réseaux : Bluesky, le nouvel élève très calme et poli, et Threads, sorte de cafétéria du musée Instagram, très intéressant en termes d’engagement mais qui pour l’instant peine pour de nombreux comptes à fédérer au-delà de la duplication des audiences Instagram dont il est issu.

La vraie question semble être: “où demeurent les vraies conversations qui vont me permettre de valoriser mes messages en tant que marques ou personnes ?”. Car ne croyez pas que toutes les marques ont abandonné Twitter. De nombreux annonceurs ont jeté l’éponge certes, mais, côté contenu organique, finalement moins risqué, certains secteurs voient leurs acteurs principaux toujours présents et surtout actifs sur X. C’est le cas par exemple des grandes marques de luxe. Elles sont toujours là, mieux, elles y engagent.

On pourrait aussi penser que X est devenu majoritairement un réseau de “lurkers”[4] , désormais avec peu de participation et contribution. Là encore, c’est aller un peu vite. 2 exemples : les discussions sur le feuilleton rocambolesque de Sam Altman, le PDG d'Open AI (chatGPT) ont eu lieu majoritairement sur Twitter et les conversations à propos des élections présidentielles américaines ont majoritairement lieu sur Twitter. Et c’est précisément cette échéance des élections qui risque d’être le marqueur futur essentiel pour la survie ou non de Twitter. A quelques mois de la tenue du scrutin, le niveau de désinformation qui y circule à propos des candidats républicains et démocrates et des grands thèmes de campagnes est déjà hallucinant en termes de volume et de variétés. Comment pourrait-il en être autrement lorsque certains candidats eux-mêmes véhiculent et créent des fake news à longueur de posts ? Par ailleurs, de nombreux comptes de média dit alternatifs en ont fait leur ligne éditoriale: à l’heure de la post-vérité et de la vérité alternative, ils proposent à longueur de flux, au mieux des informations imprécises, au pire des fake news et allégations dangereuses.

Les Notes de la Communauté

Cette dernière fonctionnalité demeure souvent timide du fait de son fonctionnement. Si vous êtes contributeur aux notes de communautés, vous pouvez donner votre avis sur un post litigieux ou polémique, et aussi valider ou non les avis et commentaires d’autres contributeurs. Et c’est là que le système, parfait sur le papier, trouve ses limites face à certains utilisateurs très polarisés de Twitter : de nombreux partisans d’une idée, au-delà de la véracité d’un tweet, trouveront un malin plaisir à invalider les notes de communautés qui ne leur plaisent pas.

En clair, imaginons un tweet de Donald Trump propulsant une fake news éhontée. Des partisans de Trump invalideront la justesse d’une note de communauté critiquant, de manière argumentée, la véracité du tweet de leur idole, rendant cette note invisible qui sera non publiée en dessous du tweet litigieux. De fait, de nombreuses notes de communautés ne rencontrent jamais l’audience de Twitter, perdues dans les luttes partisanes.

La solution: une discipline qui malheureusement réduit fortement la dynamique des conversations : il s’agira de lire les flux sans participer, de participer sans lire les commentaires, de nager uniquement dans une bulle rétrécie : en sélectionnant son flux d'utilisateurs selon des listes précises, en coupant et taillant les comptes des indésirables.

Là encore, une solution, partielle, forcément imparfaite car limitant la conversation: restreindre les réponses et commentaires à un groupe défini (‘comptes suivis’ ou ‘comptes mentionnés’). Certes, vous êtes alors plus serein, mais votre bulle se restreint, et la mixité des interactions en termes de sociologie, opinion politique et religieuse, métier, séniorité ou genre, en prend un sacré coup. Il faudra prendre du recul, toujours, sur les interactions et commentaires postés sur les réseaux, en se posant notamment la question: est-ce que j’accorde autant d’importance et de temps à mes proches dans la vie réelle qu’à des pseudo anonymes sur les médias sociaux ?

[1]https://twitter.com/asselin/status/1735340826186702870 https://twitter.com/asselin/status/1722302465024950602 https://transparency.twitter.com/dsa-transparency-report.html

[2] https://the-media-leader.fr/x-a-licencie-plus-de-1-200-moderateurs-selon-le-regulateur-australien/

[3] https://siecledigital.fr/2023/11/02/en-un-an-la-valorisation-de-x-a-chute-de-55/

[4] https://www.capterra.fr/glossary/268/lurker