Smart city : dépasser le deux poids deux mesures, un impératif de réussite

Né à la fin des années 90, le concept de smart city a longtemps alimenté l'imaginaire de tous.

Si l'avènement de la technologie et l'urgence écologique ont stimulé les innovations technologiques au service de la ville, qu’en est-il aujourd’hui en France ? Ô combien séduisant sur le papier, la smart city ne reste bien souvent, dans les faits, qu’une idée dont les enjeux sont compris par les donneurs d'ordres mais difficiles à mettre en œuvre.

Les données au cœur de la transformation urbaine

La smart city repose entièrement sur la collecte et l’analyse de données. Sans elles, impossible de réaliser l’objectif premier de celle-ci, à savoir la gestion des flux en temps réel des infrastructures telles que la voirie, les transports ou encore les différents réseaux énergétiques. Plus que de simplement repérer une fuite d’eau ou un feu de signalisation en panne, l’agrégation de ces données peut désormais permettre de créer un jumeau numérique. Cette réplique virtuelle d’une ville ou d’un réseau, permet d'explorer divers scénarios futurs et donc d’anticiper les besoins, d’optimiser les ressources, et de simuler des solutions avant leur mise en œuvre, favorisant ainsi une gestion urbaine efficiente, des innovations ciblées, et des prises de décision éclairées.

Singapour fait office de référence mondiale en la matière : son jumeau numérique, alimenté par des données précises sur la température, la taille des bâtiments, la surface des toits et la consommation d'énergie, identifie par exemple avec précision les immeubles propices à l'installation de panneaux solaires.

En France, les 28 plus grandes communes ou métropoles s’essaient à l’open data (comme le suivi en temps réel des transports en commun) ou à l’éclairage intelligent : on peut citer l’exemple de Paris, qui réalise 70% d’économies d’énergie avec ses 280 000 lampadaires connectés. Mais bien souvent les projets les plus ambitieux -tels que les réseaux d’énergie intelligents- restent au stade d’expérimentation. Au-delà des contraintes techniques, les contraintes réglementaires et le déploiement à deux vitesses entre le privé et le public entravent les avancées majeures, laissant le potentiel de la donnée sous-exploité. 

Une avancée qui se heurte aux défis administratifs, organisationnels et légaux

Au-delà de la difficulté d’obtenir un consensus citoyen en sa faveur, la concrétisation des smart cities bute contre les structures en silos qui caractérisent l'organisation actuelle de nos villes et métropoles : la fragmentation des compétences empêche souvent, la plupart du temps pour des raisons politiques, l'interconnexion nécessaire à sa réalisation. À titre d’exemple, 80% des maires estiment que la sobriété énergétique des bâtiments publics est un sujet prioritaire… mais ils sont le même pourcentage à déplorer un manque de moyens et 45 % d’entre eux estiment ne pas bénéficier d'un soutien adéquat de la part de l'État¹. 

Dans le cas de l’immobilier, le deux poids deux mesures existe aussi. Poussé par de nouvelles réglementations, tel que le décret tertiaire, l’immobilier tertiaire est souvent source d’innovation : éclairage intelligent, traitement de l’air, hausse et réduction automatique du chauffage, etc. Un esprit d’innovation à marche forcée, mais dans lequel les gestionnaires immobiliers, propriétaires, et plus largement toute la chaîne de valeur, se retrouvent car le ROI est rapidement visible. 

Moins soumis aux pressions économique, environnementale et légale, l’immobilier résidentiel peine à trouver un modèle qui justifierait un déploiement plus massif de ces innovations. Avec les contraintes liées aux performances énergétiques des logements et l’explosion des prix de l’énergie, nul doute cependant que les copropriétés se saisiront bientôt du sujet. La bonne nouvelle, c’est que de premières initiatives émergent : on peut par exemple citer Rennes Métropole, qui grâce à la solution de l’entreprise Voltalys, met à disposition un thermostat connecté pour ses habitants afin de contrôler plus facilement leurs factures d'électricité. C’est un premier pas vers l’accoutumance du résidentiel et du grand public vers des solutions connectées qui ouvrent la voie à d’autres, comme la maintenance d’ascenseurs connectée pour réduire les pannes, ou l’optimisation des HVAC via l’intelligence artificielle. 

Ainsi, si elle est désormais loin d’être un concept futuriste, la Smart City reste conditionnée à un dialogue politique éclairé et à une reconfiguration profonde des structures existantes. Pour aller plus loin, une véritable coordination des différents acteurs publics, de vision comme de budget, est indispensable. Et au-delà, la collaboration du secteur public avec les entreprises, source intarissable d’innovation au service de la ville, doit se renforcer. Tout comme immobilier tertiaire et résidentiel doivent cesser de s’opposer :  sans cela, nous aurons du mal à atteindre nos objectifs de neutralité carbone, l’un des principaux objectifs de la Smart City.
¹ Sondage OpinionWay effectué du 26 septembre au 16 octobre 2023 par téléphone, selon la méthode des quotas, auprès d'un échantillon de 501 élus locaux.